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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE

on croit que des arguments dans la forme logique ont plus de certitude qu’une preuve de sentiment, et il n’en est rien.

Dans la région des vérités intellectuelles et religieuses que Leibnitz a traitées, il faut se servir de notre conscience intime comme d’une démonstration. Leibnitz, en voulant s’en tenir aux raisonnements abstraits, exige des esprits une sorte de tension dont la plupart sont incapables ; des ouvrages métaphysiques, qui ne sont fondés ni sur l’expérience ni sur le sentiment, fatiguent singulièrement la pensée, et l’on peut en éprouver un malaise physique et moral, tel qu’en s’obstinant à le vaincre on briseroit dans sa tête les organes de la raison. Un poëte, Baggesen, fait du Vertige une divinité : il faut se recommander à elle quand on veut étudier ces ouvrages qui nous placent tellement au sommet des idées, que nous n’avons plus d’échelons pour redescendre à la vie.

Les écrivains méthaphysiques et religieux, éloquents et sensibles tout à la fois, tels qu’il en existe quelques-uns, conviennent bien mieux à notre nature. Loin d’exiger de nous que nos facultés sensibles se taisent, afin que notre faculté d’abstraction soit plus nette, ils nous demandent