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SUR LA PHILOSOPHIE ALLEMANDE

de penser, de sentir, de vouloir, pour que toute la force de l’âme nous aide à pénétrer dans les profondeurs des cieux ; mais s’en tenir à l’abstraction est un effort tel qu’il est assez simple que la plupart des hommes y aient renoncé, et qu’il leur ait paru plus facile de ne rien admettre au-delà de ce qui est visible.

La philosophie expérimentale est complète en elle-même ; c’est un tout assez vulgaire, mais compacte, borné, conséquent ; et quand on s’en tient au raisonnement, tel qu’il est reçu dans les affaires de ce monde, on doit s’en contenter : l’immortel et l’infini ne nous sont sensibles que par l’âme ; elle seule peut répandre de l’intérêt sur la haute métaphysique. On se persuade bien à tort que plus une théorie est abstraite, plus elle doit préserver de toute illusion ; car c’est précisément ainsi qu’elle peut induire en erreur. On prend l’enchaînement des idées pour leur preuve, on aligne avec exactitude des chimères, et l’on se figure que c’est une armée. Il n’y a que le génie du sentiment qui soit au-dessus de la philosophie expérimentale comme de la philosophie spéculative ; il n’y a que lui qui puisse porter la conviction au-delà des limites de la raison humaine.