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CONSIDÉRATIONS

et profondes, on n’est jamais enivré par le pouvoir ; et c’est à cela surtout qu’on reconnaît, dans un ministre, une véritable grandeur d’âme. L’assemblée constituante décida que M. Necker continueroit sa route. Il fut mis en liberté et se rendit à Bâle, mais non sans courir encore de grands risques ; il fit ce cruel voyage par le même chemin, à travers les mêmes provinces, où, treize mois auparavant, il avoit été porté en triomphe. Les aristocrates ne manquèrent pas de se glorifier de ses peines, sans songer, ou plutôt sans vouloir s’avouer qu’il s’étoit mis dans cette situation pour les défendre, et pour les défendre seulement par esprit de justice, car il savoit bien que rien ne pouvoit les ramener en sa faveur ; et certes ce n’étoit pas dans cette espérance, mais par attachement à son devoir, qu’il avoit sacrifié volontairement, en treize mois, une popularité de vingt années.

Il s’en allait, le cœur brisé, ayant perdu le fruit d’une longue carrière ; et la nation françoise aussi ne devoit peut-être jamais retrouver un ministre qui l’aimât d’un sentiment pareil. Qu’y avait-il donc de si satisfaisant pour personne dans un tel malheur ? Quoi ! s’écrieront les incorrigibles, n’était-il pas partisan de