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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇOISE

lui-même, eût ainsi le besoin de le sacrifier au moindre sentiment de délicatesse.

Mon père partit le 8 septembre 1790. Je ne pus le suivre alors, parce que j’étais malade ; et la nécessité de rester me fut d’autant plus pénible, que je craignais les difficultés qu’il pouvoit rencontrer dans sa route. En effet, quatre jours après son départ, un courrier m’apporta une lettre de lui qui m’annonçoit son arrestation à Arcis-sur-Aube. Le peuple, convaincu qu’il n’avoit perdu son crédit dans l’assemblée que pour avoir immolé la cause de la nation à celle du roi, voulut l’empêcher de continuer sa route. Ce qui faisoit surtout souffrir M. Necker dans cette circonstance, c’étoient les mortelles inquiétudes que sa femme ressentoit pour lui ; elle l’aimoit avec un sentiment si sincère et si passionné, qu’il se permit, peut-être à tort, de parler d’elle et de sa douleur dans la lettre qu’il adressa, en partant, à l’assemblée. Le temps ne se prêtoit guère, il faut en convenir, aux affections domestiques ; mais cette sensibilité, qu’un grand homme d’état n’a pu contenir dans toutes les circonstances de sa vie, étoit précisément la source de ses qualités distinctives, la pénétration et la bonté ; quand on est capable d’émotions vraies