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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇOISE

n’étoit jamais qu’avec effort qu’il improvisoit à la tribune. Cette même difficulté de rédaction le fit avoir recours à ses amis, pour l’aider dans tous ses ouvrages ; mais cependant aucun d’eux, après sa mort, n’auroit pu écrire ce qu’il savoit leur inspirer. Il disait, en parlant de l’abbé Maury : Quand il a raison, nous disputons ; quand il a tort, je l’écrase ; mais c’est que l’abbé Maury défendoit souvent, même de bonnes causes, avec cette espèce de faconde qui ne vient pas de l’émotion intime de l’âme.

Si l’on avoit admis les ministres dans l’assemblée, M. Necker, qui plus que personne étoit capable de s’exprimer avec force et avec chaleur, aurait, je le crois, triomphé de Mirabeau. Mais il étoit réduit à envoyer des mémoires, et ne pouvoit entrer dans la discussion. Mirabeau attaquoit le ministre en son absence, tout en louant sa bonté, sa générosité, sa popularité, avec un respect trompeur singulièrement redoutable, et pourtant il admiroit sincèrement M. Necker, et ne s’en cachoit point à ses amis ; mais il savoit bien qu’un caractère aussi scrupuleux ne s’allieroit jamais avec le sien, et il vouloit en détruire l’influence.

M. Necker étoit réduit au système défensif ; l’autre attaquoit avec d’autant plus d’audace que