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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

cevoient qu’elle étoit à ses yeux un moyen et non un but. Il en fut ainsi pour lui de toutes les choses et de tous les hommes. Le bruit se répandit qu’il vouloit se faire roi de Lombardie. Un jour je rencontrai le général Augereau qui venoit d’Italie, et qu’on citait, je crois alors avec raison, comme un républicain zélé. Je lui demandai s’il étoit vrai que le général Bonaparte songeât à se faire roi. « Non, assurément, répondit-il, c’est un jeune homme trop bien élevé pour cela. » Cette singulière réponse étoit tout-à-fait d’accord avec les idées du moment. Les républicains de bonne foi auroient regardé comme une dégradation pour un homme, quelque distingué qu’il fût, de vouloir faire tourner la révolution à son avantage personnel. Pourquoi ce sentiment n’a-t-il pas eu plus de force et de durée parmi les François !

Bonaparte s’arrêta dans sa marche sur Rome en signant la paix de Tolentino, et c’est alors qu’il obtint la cession des superbes monumens des arts qu’on a vus long-temps réunis dans le Musée de Paris. La véritable place de ces chefs-d’œuvre étoit sans doute en Italie, et l’imagination les y regrettoit : mais de tous les illustres prisonniers, ce sont ceux auxquels les François avoient raison d’attacher le plus de prix.