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CONSIDÉRATIONS

étoient toujours remuables par la vérité, si elle leur étoit présentée avec force.

Je restai près d’une heure tête à tête avec Bonaparte ; il écoute bien et patiemment, car il veut savoir si ce que l’on lui dit pourroit l’éclairer sur ses propres affaires ; mais Démosthène et Cicéron réunis ne l’entraîneroient pas au moindre sacrifice de son intérêt personnel. Beaucoup de gens médiocres appellent cela de la raison : c’est de la raison du second ordre ; il y en a une plus haute, mais qui ne se devine point par le calcul seulement.

Le général Bonaparte, en causant avec moi sur la Suisse, m’objecta l’état du pays de Vaud comme un motif pour y faire entrer les troupes françoises. Il me dit que les habitans de ce pays étoient soumis aux aristocrates de Berne, et que des hommes ne pouvoient pas maintenant exister sans droits politiques. Je tempérai, tant que je le pus, cette ardeur républicaine, en lui représentant que les Vaudois étoient parfaitement libres sous tous les rapports civils, et que, quand la liberté existoit de fait, il ne falloit pas, pour l’obtenir de droit, s’exposer au plus grand des malheurs, celui de voir les étrangers sur son territoire. « L’amour-propre et l’imagination, reprit le général, font tenir à l’avantage de