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CONSIDÉRATIONS

une existence si malheureuse. L’on peut volontairement passer sa vie hors de son pays ; mais, lorsqu’on y est contraint, on se figure sans cesse que les objets de notre affection peuvent être malades, sans qu’il soit permis d’être auprès d’eux, sans qu’on puisse jamais peut-être les revoir. Les affections de choix, souvent même celles de famille, les habitudes de société, les intérêts de fortune, tout est compromis ; et, ce qui est plus cruel encore, tous les liens se relâchent, et l’on finit par être étranger à sa patrie.

Souvent j’ai pensé, pendant les douze années d’exil auxquelles Napoléon m’a condamnée, qu’il ne pouvoit sentir le malheur d’être privé de la France ; il n’avoit point de souvenir françois dans le cœur. Les rochers de la Corse lui retraçoient seuls les jours de son enfance ; mais la fille de M. Necker étoit plus Françoise que lui. Je renvoie à un autre ouvrage dont plusieurs morceaux sont déjà écrits, toutes les circonstances de mon exil, et des voyages jusqu’aux confins de l’Asie qui en ont été la suite ; mais, comme je me suis presque interdit les portraits des hommes vivans, je ne pourrais donner à une histoire individuelle le genre d’intérêt qu’elle doit avoir. Maintenant,