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CONSIDÉRATIONS

honorer le caractère d’un homme. Si le sénat avoit secondé les cinq du corps législatif, si les généraux avoient appuyé le sénat, la France auroit disposé de son sort, et, quelque parti qu’elle eût pris, elle fût restée France. Mais quinze années de tyrannie dénaturent toutes les idées, altèrent tous les sentimens ; les mêmes hommes qui exposeroient noblement leur vie à la guerre, ne savent pas que le même honneur et le même courage commandent dans la carrière civile la résistance à l’ennemi de tous, le despotisme.

Bonaparte répondit à la députation du corps législatif avec une fureur concentrée ; il parla mal, mais son orgueil se fit jour à travers le langage embrouillé dont il se servit. Il dit que la France avoit plus besoin de lui que lui d’elle ; oubliant que c’étoit lui qui l’avoit réduite à cet état. Il dit qu’un trône n’étoit qu’un morceau de bois sur lequel on étendoit un tapis, et que tout dépendoit de celui qui l’occupoit ; enfin il parut toujours enivré de lui-même. Toutefois, une anecdote singulière feroit croire qu’il étoit atteint déjà par l’engourdissement qui s’est montré dans son caractère pendant la dernière crise de sa vie politique. Un homme tout-à-fait digne de foi m’a dit que, causant seul avec lui, la veille de son