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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

passoient près de ma voiture, pour leur demander du secours, et ils me répondirent par les gestes les plus dédaigneux et les plus menaçants. J’étois grosse, et cela ne les désarmoit pas ; tout au contraire, ils étoient d’autant plus irrités qu’ils se sentoient plus coupables : néanmoins le gendarme qu’on avoit mis dans ma voiture, n’étant point animé par ses camarades, se laissa toucher par ma situation, et il me promit de me défendre au péril de sa vie. Le moment le plus dangereux devoit être à la place de Grève : mais j’eus le temps de m’y préparer d’avance, et les figures dont j’étois entourée avoient une expression si méchante, que l’aversion qu’elles m’inspiroient me donnoit plus de force.

Je sortis de ma voiture au milieu d’une multitude armée, et je m’avançai sous une voûte de piques. Comme je montois l’escalier, également hérissé de lances, un homme dirigea contre moi celle qu’il tenoit dans sa main. Mon gendarme m’en garantit avec son sabre ; si j’étois tombée dans cet instant, c’en étoit fait de ma vie : car il est de la nature du peuple de respecter ce qui est encore debout ; mais, quand la victime est déjà frappée, il l’achève.

J’arrivai donc enfin à cette commune prési-