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CORINNE OU L’ITALIE

cemens de sentiment qu’un examen plus approfondi peut dissiper. On se flatte, on se détrompe, et l’enthousiasme même dont on est susceptible, s’il rend l’enchantement plus rapide, peut faire aussi que le refroidissement soit plus prompt. — Vous avez beaucoup réfléchi sur le sentiment, madame, dit Oswald avec amertume. — Corinne rougit à ce mot, et se tut quelques instans ; puis reprenant la parole avec un mélange assez frappant de franchise et de dignité : — Je ne crois pas, dit-elle, qu’une femme sensible soit jamais arrivée jusqu’à vingt-six ans sans avoir connu l’illusion de l’amour ; mais si n’avoir jamais été heureuse, si n’avoir jamais rencontré l’objet qui pouvait mériter toutes les affections de son cœur, est un titre à l’intérêt, j’ai droit au vôtre. — Ces paroles, et l’accent avec lequel Corinne les prononça, dissipèrent un peu le nuage qui s’était élevé dans l’ame de lord Nelvil ; néanmoins il se dit en lui-même : — C’est la plus séduisante des femmes, mais c’est une Italienne ; et ce n’est pas ce cœur timide, innocent, à lui-même inconnu, que possède sans doute la jeune Anglaise à laquelle mon père me destinait. —

Cette jeune Anglaise se nommait Lucile Ed-