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CORINNE OU L’ITALIE

du caractère des femmes. Un proverbe italien dit : Qui ne sait pas feindre ne sait pas vivre. N’est-ce pas là un proverbe de femme ? Et en effet, dans un pays où il n’y a ni carrière militaire, ni institution libre, comment un homme pourrait-il se former à la dignité et à la force ? Aussi tournent-ils tout leur esprit vers l’habileté ; ils jouent la vie comme une partie d’échecs, dans laquelle le succès est tout. Ce qu’il leur reste de souvenirs de l’antiquité, c’est quelque chose de gigantesque dans les expressions et dans la magnificence extérieure ; mais à côté de cette grandeur sans base, vous voyez souvent tout ce qu’il y a de plus vulgaire dans les goûts et de plus misérablement négligé dans la vie domestique. Est-ce là, Corinne, la nation que vous devez préférer à toute autre ? Est-ce elle, dont les bruyans applaudissemens vous sont si nécessaires, que toute autre destinée vous paraîtrait silencieuse à côté de ces bravo retentissans ? Qui pourrait se flatter de vous rendre heureuse en vous arrachant à ce tumulte ? Vous êtes une personne inconcevable, profonde dans vos sentimens et légère dans vos goûts ; indépendante par la fierté de votre ame, et cependant asservie par le besoin des distractions ; capable d’aimer un seul, mais ayant besoin de tous. Vous êtes