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CORINNE OU L’ITALIE

vérité, et souvent même la possibilité de la dire. Il en est résulté l’habitude de se complaire dans les mots sans oser approcher des idées. Comme l’on était certain de ne pouvoir obtenir par ses écrits aucune influence sur les choses, on n’écrivait que pour montrer de l’esprit, ce qui est le plus sûr moyen de finir bientôt par n’avoir pas même de l’esprit ; car c’est en dirigeant ses efforts vers un objet noblement utile qu’on rencontre le plus d’idées. Quand les écrivains en prose ne peuvent influer en aucun genre sur le bonheur d’une nation, quand on n’écrit que pour briller, enfin quand c’est la route qui est le but, on se replie en mille détours, mais l’on n’avance pas. Les Italiens, il est vrai, craignent les pensées nouvelles, mais c’est par paresse qu’ils les redoutent, et non par servilité littéraire. Leur caractère, leur gaieté, leur imagination ont beaucoup d’originalité, et cependant comme ils ne se donnent plus la peine de réfléchir, leurs idées générales sont communes ; leur éloquence même, si vive quand ils parlent, n’a point de naturel quand ils écrivent ; on dirait qu’ils se refroidissent en travaillant ; d’ailleurs les peuples du midi sont gênés par la prose, et ne peignent leurs véritables sentimens qu’en vers. Il n’en est pas de