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CORINNE OU L’ITALIE

superlatifs, qu’on dirait qu’ils écrivent tous de commande, avec des phrases reçues, et pour une nature de convention ; ils semblent ne pas se douter qu’écrire c’est exprimer son caractère et sa pensée. Le style littéraire est pour eux un tissu artificiel, une mosaïque importée, je ne sais quoi d’étranger enfin à leur ame, qui se fait avec la plume, comme un ouvrage mécanique avec les doigts ; ils possèdent au plus haut degré le secret de développer, de commenter, d’enfler une idée, de faire mousser un sentiment, si l’on peut parler ainsi ; tellement qu’on serait tenté de dire à ces écrivains, comme cette femme africaine a une dame française qui portait un grand panier sous une longue robe : Madame, tout cela est-il vous-même ? En effet, où est l’être réel, dans toute cette pompe de mots, qu’une expression vraie ferait disparaître comme un vain prestige.

— Vous oubliez, interrompit vivement Corinne, d’abord Machiavel et Bocace, puis Gravina, Filangieri, et de nos jours encore Cesarotti, Verri, Bettinelli, et tant d’autres enfin qui savent écrire et penser [1]. Mais je conviens avec vous que depuis les derniers siècles, des circonstances malheureuses ayant privé l’Italie de son indépendance, on y a perdu tout intérêt pour la

  1. Cesarotti, Verri, Bettinelli sont trois auteurs vivans qui ont mis de la pensée dans la prose italienne ; il faut avouer que ce n’est pas à cela qu’on la destine depuis longtemps.