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Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome I, 1807.djvu/340

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CORINNE OU L’ITALIE

rage dans son crime. Hippolyte, dans ce tableau, est peut-être plus beau que dans Racine même ; il y ressemble davantage au Méléagre antique, parce que nul amour pour Aricie ne dérange l’impression de sa noble et sauvage vertu ; mais est-il possible de supposer que Phèdre en présence d’Hippolyte pût soutenir son mensonge, qu’elle le vit innocent et persécuté, et ne tombât point à ses pieds ? Une femme offensée peut outrager ce qu’elle aime en son absence, mais quand elle le voit, il n’y a plus dans son cœur que de l’amour. Le poëte n’a jamais mis en scène Hippolyte avec Phèdre depuis que Phèdre l’a calomnié ; le peintre devait les réunir pour rassembler, comme il l’a fait, toutes les beautés des contrastes ; mais n’est-ce pas une preuve qu’il y a toujours une telle différence entre les sujets poétiques et les sujets pittoresques, qu’il vaut mieux que les poëtes fassent des vers d’après les tableaux, que les peintres des tableaux d’après les poëtes ? L’imagination doit toujours précéder la pensée, l’histoire de l’esprit humain nous le prouve.

Pendant que Corinne expliquait ainsi ses tableaux à lord Nelvil, elle s’était arrêtée plusieurs fois, espérant qu’il lui parlerait ; mais son ame blessée ne se trahissait par aucun mot ; seule-