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Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome I, 1807.djvu/411

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CORINNE OU L’ITALIE

plus malheureuse personne du monde. — Oui mais si vous n’avez rien fait qui vous compromette, vous resterez, vous tout entière. — Moi tout entière, s’écria Corinne, quand le plus profond sentiment de ma vie serait flétri ! quand mon cœur serait brisé ! — Le public ne le saurait pas, et vous pourriez en dissimulant ne rien perdre dans l’opinion. — Et pourquoi ménager cette opinion, répondit Corinne, si ce n’est pour avoir un charme de plus aux yeux de ce qu’on aime ? — On cesse d’aimer, reprit le comte d’Erfeuil, mais l’on ne cesse pas de vivre au milieu de la société et d’avoir besoin d’elle. — Ah ! si je pouvais penser, répondit Corinne, qu’il arrivera, le jour où l’affection d’Oswald ne serait pas tout pour moi dans ce monde, si je pouvais le penser, j’aurais déjà cessé de l’aimer. Qu’est-ce donc que l’amour, quand il prévoit, quand il calcule le moment où il n’existera plus ? S’il y a quelque chose de religieux dans ce sentiment, c’est parce qu’il fait disparaître tous les autres intérêts et se complaît comme la dévotion dans le sacrifice entier de soi-même. —

Que me dites-vous là, reprit le comte d’Erfeuil, une personne d’esprit comme vous peut-elle se remplir la tête de pareilles folies ! C’est notre avantage à nous autres hommes que les femmes