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CORINNE OU L’ITALIE.

que de douleur. Je vous dirai seulement ce que vous avez appris déjà par mes amis, c’est que mon existence indépendante me plaisait tellement, qu’après de longues irrésolutions et de pénibles scènes j’ai rompu deux fois des liens que le besoin d’aimer m’avait fait contracter, et que je n’ai pu me résoudre à rendre irrévocables. Un grand seigneur allemand voulait, en m’épousant, m’emmener dans son pays où son rang et sa fortune le fixaient. Un prince italien m’offrait à Rome même l’existence la plus brillante. Le premier sut me plaire en m’inspirant la plus haute estime ; mais je m’aperçus avec le temps qu’il avait peu de ressources dans l’esprit. Quand nous étions seuls il fallait que je me donnasse beaucoup de peine pour soutenir la conversation et pour lui cacher avec soin ce qui lui manquait. Je n’osais, en causant avec lui, me montrer ce que je puis être, de peur de le mettre mal à l’aise ; je prévis que son sentiment pour moi diminuerait nécessairement le jour où je cesserais de le ménager, et néanmoins il est difficile de conserver de l’enthousiasme pour ceux que l’on ménage. Les égards d’une femme pour une infériorité quelconque dans un homme supposent toujours qu’elle ressent pour lui plus de pitié que d’amour ; et le genre de calcul et