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CORINNE OU L’ITALIE.

de réflexion que ces égards demandent flétrit la nature céleste d’un sentiment involontaire. Le prince italien était plein de grâce et de fécondité dans l’esprit. Il voulait s’établir à Rome, partageait tous mes goûts, aimait mon genre de vie ; mais je remarquai dans une occasion importante qu’il manquait d’énergie dans l’ame, et que dans les circonstances difficiles de la vie ce serait moi qui me verrais obligée de le soutenir et de le fortifier : alors tout fut dit pour l’amour ; car les femmes ont besoin d’appui, et rien ne les refroidit comme la nécessité d’en donner. Je fus donc deux fois détrompée de mes sentimens, non par des malheurs ni des fautes, mais l’esprit observateur me découvrit ce que l’imagination m’avait caché.

Je me crus destinée à ne jamais aimer de toute la puissance de mon ame ; quelquefois cette idée m’était pénible, plus souvent je m’applaudissais d’être libre ; je craignais en moi cette faculté de souffrir, cette nature passionnée qui menace mon bonheur et ma vie ; je me rassurais toujours, en songeant qu’il était difficile de captiver mon jugement, et je ne croyais pas que personne pût jamais répondre à l’idée que j’avais du caractère et de l’esprit d’un homme ; j’espérais toujours échapper au pouvoir absolu d’un atta-