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CORINNE OU L’ITALIE.

plus souvent, et elle lui en fit des reproches. Il se justifia, et déjà ses lettres devinrent moins tendres : car, au lieu d’exprimer ses propres inquiétudes, il s’occupait à dissiper celles de son amie.

Ces nuances n’échappèrent pas à la triste Corinne, qui étudiait le jour et la nuit une phrase, un mot des lettres d’Oswald, et cherchait à découvrir, en les relisant sans cesse, une réponse à ses craintes, une interprétation nouvelle qui pût lui donner quelques jours de calme.

Cet état ébranlait ses nerfs, affaiblissait la force de son esprit. Elle devenait superstitieuse et s’occupait des présages continuels qu’on peut tirer de chaque événement, quand on est toujours poursuivi par la même crainte. Un jour par semaine elle allait à Venise, pour avoir ce jour-là ses lettres quelques heures plus tôt. Elle variait ainsi le tourment de les attendre. Au bout de quelques semaines, elle avait pris une sorte d’horreur pour tous les objets qu’elle voyait en allant et en revenant : ils étaient tous comme les spectres de ses pensées, et les retraçaient à ses yeux sous d’horribles traits.

Une fois, en entrant à l’église de Saint-Marc, elle se rappela qu’en arrivant à Venise l’idée