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CORINNE OU L’ITALIE.

frappée des avantages de sa sœur, qu’elle avait presque honte de lutter avec de tels charmes. Il lui semblait que le talent même était une ruse, l’esprit une tyrannie, la passion une violence à côté de cette innocence désarmée ; et bien que Corinne n’eût pas encore vingt-huit ans, elle pressentait déjà cette époque de la vie où les femmes se défient avec tant de douleur de leurs moyens de plaire. Enfin la jalousie et une timidité fière se combattaient dans son ame, elle renvoyait de jour en jour le moment tant craint, et tant désiré, où elle devait revoir Oswald. Elle apprit que son régiment serait passé en revue le lendemain à Hydepark, et elle résolut d’y aller. Elle pensa qu’il était possible que Lucile s’y trouvât, et elle s’en fiait à ses propres yeux pour juger des sentimens d’Oswald. D’abord elle avait l’idée de se parer avec soin, et de se montrer ensuite subitement à lui mais en commençant sa toilette, ses cheveux noirs, son teint un peu bruni par le soleil d’Italie, ses traits prononcés, mais dont elle ne pouvait pas juger l’expression en se regardant, lui inspirèrent du découragement sur ses charmes. Elle voyait toujours dans son miroir le visage aërien de sa sœur, et rejetant loin d’elle toutes les parures qu’elle avait essayées, elle se