Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome II, 1807.djvu/401

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C’est dommage : j’étais née pour être une personne distinguée ; je mourrai sans que l’on ait aucune idée de moi, bien que je sois célèbre. Si j’avais été heureuse, si la fièvre du cœur ne m’avait pas dévorée, j’aurais contemplé de très-haut la destinée humaine, j’y aurais découvert des rapports inconnus avec la nature et le ciel ; mais la serre du malheur me tient ; comment penser librement, quand elle se fait sentir chaque fois qu’on essaie de respirer ?

Pourquoi n’a-t-il pas été tenté de rendre heureuse une personne dont il avait seul le secret, une personne qui ne parlait qu’à lui du fond du cœur ? Ah ! l’on peut se séparer de ces femmes communes qui aiment au hasard ; mais celle qui a besoin d’admirer ce qu’elle aime, celle dont le jugement est pénétrant, bien que son imagination soit exaltée, il n’y a pour elle qu’un objet dans l’univers.

J’avais appris la vie dans les poëtes ; elle n’est pas ainsi ; il y a quelque chose d’aride dans la réalité, que l’on s’efforce en vain de changer.

Quand je me rappelle mes succès, j’éprouve un sentiment d’irritation. Pourquoi me dire que j’étais charmante, si je ne devais pas être