Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome II, 1807.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
CORINNE OU L’ITALIE.

facile de conduire la vie, de la diversifier, de la soustraire à la réflexion, sans en écarter le charme de l’esprit. À tous ces moyens de s’étourdir il faut ajouter les spectacles, les étrangers, les nouvelles, et vous aurez l’idée de la ville la plus sociale qui soit au monde. Je m’étonne presque de prononcer son nom dans cet hermitage, au milieu d’un désert, à l’autre extrême des impressions que fait naître la plus active population du monde ; mais je devais vous peindre ce séjour et son effet sur moi.

Le croiriez-vous, Corinne, maintenant que vous m’avez connu si sombre et si découragé, je me laissai séduire par ce tourbillon spirituel ! je fus bien aise de n’avoir pas un moment d’ennui, eussé-je dû n’en avoir pas un de méditation, et d’émousser en moi la faculté de souffrir, bien que celle d’aimer s’en ressentît. Si j’en puis juger par moi-même, il me semble qu’un homme d’un caractère sérieux et sensible peut être fatigué par l’intensité même et la profondeur de ses impressions : il revient toujours à sa nature ; mais ce qui l’en fait sortir, au moins pour quelque temps, lui fait du bien. C’est en m’élevant au-dessus de moi-même, Corinne, que vous dissipez ma mélancolie naturelle ; c’est en me faisant valoir moins que je ne vaux