Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome II, 1807.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
449
CORINNE OU L’ITALIE.

se fut relevée, il lui tendit la main et lui dit : Lucile, vous avez donc eu peur ? — Oui, mon ami, répondit-elle : — Et pourquoi vous êtes-vous mise en route ? — Vous paraissiez impatient de partir. — Ne savez-vous pas, répondit lord Nelvil, qu’avant tout je crains pour vous ou le danger ou la peine. — C’est pour Juliette qu’il faut les craindre, dit Lucile. — Elle la prit sur ses genoux, pour la réchauffer auprès du feu, et bouclait avec ses mains les beaux cheveux noirs de cet enfant, que la neige et la pluie avaient aplatis sur son front. Dans ce moment, la mère et la fille étaient charmantes. Oswald les regarda toutes les deux avec tendresse, mais encore une fois le silence suspendit un entretien qui peut-être aurait conduit à une explication heureuse.

Ils arrivèrent à Turin ; cette année là l’hiver était très-rigoureux : les vastes appartemens de l’Italie sont destinés à recevoir le soleil, ils paraissaient déserts pendant le froid. Les hommes sont bien petits sous ces grandes voûtes. Elles font plaisir pendant l’été par la fraîcheur qu’elles donnent, mais au milieu de l’hiver on ne sent que le vide de ces palais immenses dont les possesseurs semblent des pygmées dans la demeure des géans.