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CORINNE OU L’ITALIE.

désagréable. Lucile s’attendait au langage harmonieux d’Italie qu’on lui avait annoncé, et le dialecte bolonais dut la surprendre péniblement ; il n’en est pas de plus rauque dans les pays du nord. C’était au milieu du carnaval qu’Oswald et Lucile arrivèrent à Bologne ; l’on entendait jour et nuit des cris de joie tout semblables à des cris de colère. Une population pareille à celle des Lazzaroni de Naples couche la nuit sous les arcades nombreuses qui bordent les rues de Bologne ; ils portent pendant l’hiver un peu de feu dans un vase de terre, mangent dans la rue, et poursuivent les étrangers par des demandes continuelles. Lucile espérait en vain ces voix mélodieuses qui se font entendre la nuit dans les villes d’Italie ; elles se taisent toutes quand le temps est froid, et sont remplacées à Bologne par des clameurs qui effraient quand on n’y est pas accoutumé. Le jargon des gens du peuple paraît hostile, tant le son en est rude ; et les mœurs de la populace sont beaucoup plus grossières dans quelques contrées méridionales, que dans les pays du nord. La vie sédentaire perfectionne l’ordre social ; mais le soleil qui permet de vivre dans les rues introduit quelque chose de sauvage dans les habitudes des gens du peuple[1].

  1. On avait annoncé pour deux heures après midi, une éclipse de soleil à Bologne, le peuple se rassembla sur la place publique pour la voir, et impatient de ce qu’elle tardait, il l’appelait impétueusement comme un acteur qui se fait attendre ; enfin elle commença : et comme le temps nébuleux empêchait qu’elle ne produisît un grand effet, il se mit à la siffler à grand bruit, trouvant que le spectacle ne répondait pas à son attente.