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CORINNE OU L’ITALIE.

ment, et l’assurant que dans peu je le rejoindrais. Madame d’Arbigny employa d’abord la prière, puis le désespoir pour me retenir, et voyant enfin qu’elle ne réussissait pas, je crois qu’elle eut recours à la ruse ; mais comment alors aurais-je pu le soupçonner !

Un matin elle arriva chez moi, pale, échevelée, et se jeta dans mes bras en me suppliant de la protéger : elle paraissait mourir de frayeur. À peine pus-je comprendre, à travers son émotion, que l’ordre était venu de l’arrêter, comme sœur du comte Raimond, et qu’il fallait que je lui trouvasse un asile pour la dérober à ceux qui la poursuivaient. À cette époque même, des femmes avaient péri, et toutes les terreurs paraissaient naturelles. Je la menai chez un négociant qui m’était dévoué ; je l’y cachai, je crus la sauver, et M. de Maltigues et moi nous avions seuls le secret de sa retraite. Comment dans cette situation ne pas s’intéresser vivement au sort d’une femme ! Comment se séparer d’une personne proscrite ! Quel est le jour, quel est le moment où il se peut qu’on lui dise : — Vous avez compté sur mon appui et je vous le retire. — Cependant le souvenir de mon père me poursuivait continuellement, et dans plusieurs occasions j’essayai d’obtenir de madame d’Arbigny la