Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/102

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C’était un peu coûteux, et un tel garçon méritait d’être bien payé ; mais il faisait sa besogne avec une si exquise ponctualité que le pauvre homme ne sortait guère de chez lui sans que je susse la direction qu’il prenait, la compagnie qu’il avait, le moment où il allait dehors et le temps qu’il restait à la maison.

C’est par cette conduite extraordinaire que je me gardai en sûreté. De cette façon, je paraissais en public ou restais chez moi, suivant que je voyais qu’il avait ou n’avait pas la possibilité d’être à Paris, à Versailles ou en tout autre lieu où j’avais l’occasion de me trouver. Bien que ce fût très onéreux, comme je le trouvai absolument nécessaire, je ne m’inquiétai point de la dépense, car je savais que je ne pouvais acheter trop cher ma sécurité.

Grâce à ce manège, j’eus l’occasion de voir quelle vie absolument insignifiante et vide menait maintenant cet indolent et pauvre hère, dont la nature inactive avait d’abord été ma ruine : il ne se levait le matin que pour se coucher le soir ; à part les mouvements obligatoires des troupes qu’il était obligé de suivre, c’était un animal purement inerte, de nulle conséquence dans le monde ; il était comme quelqu’un qui, vivant il est vrai, n’aurait cependant aucune espèce d’affaires dans la vie, si ce n’est d’y rester jusqu’à ce qu’on l’appelle pour en sortir ; il ne fréquentait aucune compagnie, ne se souciait d’aucun exercice corporel, ne jouait à aucun jeu, et ne faisait, en réalité, rien qui eût un intérêt quelconque ; bref, il flânait çà et là, comme quelqu’un qui ne vaut pas quarante sous, mort ou vif. Lorsqu’il serait parti, il ne laisserait derrière lui aucun souvenir de son existence ; et s’il avait jamais fait quelque chose au monde dont on pût parler, c’était simplement d’avoir engendré cinq mendiants et fait mourir de faim sa femme. Le journal de sa vie, qui m’était constamment envoyé chaque semaine, était la plus insipide de toutes les choses de ce genre qui se soient jamais vues ; aussi, comme il ne contenait réellement rien de sérieux, il ne serait pas drôle de le rapporter ici. Il n’aurait même pas assez d’importance pour égayer le lecteur, et, pour cette raison, je l’omets.

Cependant j’étais obligée de veiller, et de me garder de ce misérable -