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Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/12

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suis moralement certaine qu’il n’avait pas cinq guinées vaillant quand il me quitta. Tout ce que je pus arriver à savoir à son sujet fut qu’il avait laissé son cor de chasse, qu’il appelait cor français, dans l’écurie, ainsi que sa selle de chasse, et qu’il était parti en bel équipage, comme l’on dit, ayant une housse brodée, une boîte à pistolets, et autres accessoires ; un de ses domestiques avait aussi une selle à pistolets, mais ordinaire, et l’autre un long fusil ; en sorte qu’ils étaient sortis équipés, non pas en chasseurs, mais plutôt en voyageurs. Quant à la partie du monde où ils allèrent, je n’en entendis jamais parler pendant maintes années.

Comme je l’ai dit, j’envoyai aux renseignements près de ses parents ; mais ils me renvoyaient des réponses brèves et bourrues. Aucun d’eux ne proposa de venir me voir, ni de voir les enfants ; ils ne s’en informaient même pas, comprenant bien que j’étais dans une position à leur devenir bientôt, sans doute, un objet d’embarras. Mais il n’était plus temps de tergiverser avec eux, pas plus qu’avec le reste du monde. Je cessai d’envoyer ; j’allai moi-même ; je leur exposai complètement ma situation et la condition à laquelle j’étais réduite ; je les priai de me conseiller sur le parti que j’avais à prendre ; je me fis aussi humble qu’ils le pouvaient désirer, et les suppliai de considérer que je n’étais pas en position de me suffire, et que, sans quelque secours, nous péririons tous inévitablement. Je leur dis que si je n’avais qu’un enfant, ou deux enfants, j’aurais fait mes efforts pour les nourrir de mon aiguille, et que je ne serais venue à eux que pour les prier de m’aider à trouver de l’ouvrage, afin de pouvoir gagner mon pain en travaillant. Mais imaginer une femme seule, qui n’a pas été élevée à travailler, ne sachant où trouver de l’occupation et ayant à gagner le pain de cinq enfants, cela n’était pas possible ; d’autant plus que quelques-uns de mes enfants étaient encore jeunes, et qu’il n’y en avait pas d’assez grands pour s’aider les uns les autres.

Ce fut partout la même chose : je ne reçus pas un liard de personne ; à peine m’engagea-t-on à m’asseoir chez les deux sœurs ; et, chez les deux plus proches parents, on ne m’offrit ni à manger, ni à boire. Dans la cinquième maison, une vieille dame