Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/167

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

millions, il le lui reprochera parfois. S’il a des enfants, ils ne manquent pas de l’apprendre d’un côté ou de l’autre. Si les enfants sont vertueux, ils rendent à leur mère la justice de la haïr pour cela. S’ils sont vicieux, ils lui donnent la mortification de faire comme elle, et de la proposer comme exemple. D’un autre côté, si l’homme et la femme se séparent, le crime prend fin, et aussi la clameur publique ; le temps en détruit la mémoire ; une femme n’a qu’à déménager à quelques rues de distance, et bientôt elle survit à sa mauvaise réputation et n’en entend plus parler. »

Ce discours le confondit, et il me dit qu’il ne pouvait pas ne pas dire que j’avais raison, somme toute. Quant à ce qui avait trait à l’administration des fortunes, c’était raisonner à la cavalier[1] ; ce serait juste en un certain sens, si les femmes étaient capables de s’en tirer à leur honneur ; mais, en général, les personnes du sexe ne sont pas capables de cela. Leurs têtes n’y sont point tournées ; et elles font mieux de choisir une personne capable et honnête, sachant leur rendre justice comme femmes, en même temps que les aimer. Dans ce cas, toute la peine leur est enlevée des mains.

C’était, répondis-je, un bien cher moyen d’acheter la tranquillité ; car bien souvent, lorsque toute la peine leur est enlevée des mains, leur argent l’est aussi. Je croyais qu’il était beaucoup plus sûr pour le sexe de ne pas avoir peur de la peine, mais d’avoir une peur réelle pour l’argent. Si l’on ne se confiait à personne, personne ne serait trompé, et avoir en main le bâton de commandement constitue encore la meilleure sécurité du monde.

Il répliqua que j’avais inauguré une chose nouvelle sur la terre. Quand même je pourrais la soutenir par de subtils arguments, c’était une façon de raisonner contraire à la pratique générale ; et il avouait qu’il en éprouvait un grand désappointement. S’il avait su que je l’aurais pris de cette façon, il n’aurait jamais tenté ce qu’il avait fait, chose en quoi il n’avait point de mauvais dessein, étant résolu à m’offrir toute réparation. Il était bien fâché d’avoir été si malheureux. Il était parfaitement

  1. Les mots en italique sont en français dans le texte de Defoe. (N. D. T)