Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mœurs, en jugement des choses, le marchand l’emporte sur bien des membres de la noblesse ; une fois qu’il a bien compris le monde et qu’il s’est mis au dessus de ses affaires, tout en n’ayant pas de biens fonciers proprement dits, il est supérieur à la plupart des gentlemen, même parmi ceux qui en ont ; un marchand qui a des affaires actives et un capital en réserve, peut dépenser plus d’argent qu’un gentlemen possesseur d’une terre de cinq mille livres ; lorsqu’un marchand fait des dépenses, il ne dépense que ce qu’il a gagné, et pas même cela, et il met de côté de grosses sommes chaque année. Une propriété est comme un étang, mais un commerce est comme une source : si la première est une fois hypothéquée, il est rare qu’elle se libère, et le propriétaire est pour toujours embarrassé ; au contraire, la fortune du marchand a un cours continuel. Et là-dessus il me nomma des marchands qui vivaient avec plus de splendeur réelle et qui dépensaient plus d’argent que la plupart des nobles d’Angleterre ne pouvaient le faire séparément, et qui cependant devenaient immensément riches.

Il continua en me disant que même les commerçants de Londres, si l’on parlait des meilleurs genres de commerce, pouvaient dépenser plus d’argent dans leur intérieur et donner de plus grandes fortunes à leurs enfants que ne le pouvait généralement la petite noblesse d’Angleterre à partir de mille livres de revenus et au dessous, et qu’ils s’enrichissaient en même temps.

La fin de tout ceci fut de me recommander de disposer plutôt de ma fortune en faveur de quelque grand commerçant, lequel, n’ayant déjà ni besoin ni pénurie d’argent, mais possédant un commerce florissant et une caisse abondante, placerait au premier mot tous mes biens sur ma propre tête et sur celle de mes enfants, et me ferait la vie d’une reine.

Ceci était certainement fort juste ; et si j’avais suivi son avis j’aurais été réellement heureuse. Mais mon cœur était plein d’idées d’indépendance, et je lui dis que je ne connaissais point d’état de mariage qui ne fût, à tout prendre au mieux, un état d’infériorité, sinon de servitude ; que je n’en avais pas l’idée ; que je menais maintenant une vie de liberté absolue, que j’étais