Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/236

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qu’il oublierait aussitôt tout ce qui s’était passé de désagréable entre nous. Mais comme il n’y avait aucun moyen d’imaginer que cela fût possible, je rejetai ces pensées autant que je le pouvais.

Cependant, elles revenaient continuellement, je n’avais de repos ni jour ni nuit à force de songer à celui que j’avais oublié pendant onze ans. Je le dis à Amy, et nous en parlions quelquefois ensemble dans le lit presque pendant des nuits entières. À la fin, Amy fit jaillir de sa tête une idée qui mit la chose en train de s’arranger, tout en étant fort extravagante en soi.

« Vous paraissez si tourmentée à propos de ce M. ***, le marchand de Paris, madame ! Eh bien ! dit-elle, si vous voulez m’en donner congé, j’irai là-bas, je verrai ce qu’il est devenu.

» — Non, pas pour dix mille livres ! m’écriai-je. Non, pas même si vous le rencontriez dans la rue ; ne cherchez pas à lui parler à mon sujet.

» — Non, dit Amy, je ne lui parlerais pas du tout ; ou, si je le faisais, je vous garantis que ce n’aurait pas l’air d’être à votre sujet. Je m’informerai seulement de lui, et s’il est en vie, vous aurez de ses nouvelles. S’il ne l’est plus, vous aurez de ses nouvelles tout de même et ce sera peut-être assez.

» — Eh bien ! lui dis-je, si vous voulez me promettre de n’entrer dans aucun détail relatif à moi avec lui, et de ne parler de moi d’aucune façon, à moins qu’il ne commence, je me laisserais presque persuader de vous permettre d’aller tenter l’aventure. »

Amy me promit tout ce que je désirais, et, en un mot, pour abréger l’histoire, je la laissai aller. Mais je la liai de restrictions tellement particulières qu’il était presque impossible que son voyage pût signifier quelque chose ; et si elle avait eu l’intention de les observer, elle aurait aussi bien fait de rester à la maison que de partir. Je lui ordonnai, si elle venait à le voir, de ne pas même faire semblant de le reconnaître ; et, s’il lui parlait, de lui dire qu’elle m’avait quittée depuis bien des années et qu’elle ne savait pas ce que j’étais devenue ; qu’il y avait six ans qu’elle était en France ; qu’elle y était mariée, et qu’elle demeurait à Calais, ou quelque autre chose du même genre.