Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/288

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n’attirerais pas sur mon mari le courroux d’une juste Providence en mêlant ma richesse mal acquise à son honnête fortune. Je fus conduite à agir ainsi par les réflexions qui, à certains intervalles, naissaient dans mon esprit sur la justice du ciel, laquelle, — j’avais lieu de m’y attendre, — tomberait à un moment ou l’autre sur moi ou sur mes biens, en punition de l’épouvantable vie que j’avais vécue.

Et que personne ne conclue de l’étrange prospérité que j’avais rencontrée dans toutes mes actions perverses et de la vaste fortune que j’en avais tirée, que je fusse pour cela heureuse ou tranquille. Non, non ; j’avais un dard enfoncé dans le foie ; j’avais en moi un secret enfer, même pendant tout le temps que notre joie semblait au plus haut, et surtout maintenant, après que tout était fini et que, suivant toute apparence, j’étais une des plus heureuses femmes de la terre. Pendant tout ce temps, je le répète, mon esprit était sous le coup d’une terreur constante, qui me donnait des sursauts terribles et me faisait m’attendre à quelque chose d’effrayant à chacun des accidents ordinaires de la vie.

En un mot, il ne faisait jamais d’éclair ni de tonnerre que je ne crusse que le prochain coup allait pénétrer mes organes vitaux et fondre la lame — mon âme, — dans son fourreau de chair. Jamais un ouragan ne soufflait que je ne crusse que la chute de quelque tuyau de cheminée ou de toute autre partie de la maison allait m’ensevelir sous ses ruines ; et il en était de même pour les autres choses.

Mais j’aurai peut-être occasion de reparler de tout ceci plus tard. La question que nous avions à considérer était en quelque sorte réglée : nous avions amplement quatre mille livres sterling par an pour notre subsistance future, sans compter une grosse somme en joyaux et en argenterie. Outre cela, j’avais environ huit mille livres d’argent en réserve que je lui dissimulai, pour établir mes deux filles dont j’ai encore beaucoup à parler.

C’est avec cette fortune, assise comme vous l’avez vu, et avec le meilleur mari du monde, que je quittai de nouveau l’Angleterre. Non seulement j’avais, par prudence humaine et par la nature même des choses, étant mariée et établie d’une si magni-