Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/309

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m’avoir vue déjà, mais qu’elle ne pouvait se rappeler où. Je répondis, (bien que ses paroles ne me fussent pas adressées) que j’imaginais qu’elle ne m’avait pas encore vue en Angleterre, mais je lui demandai si elle avait habité la Hollande. — Non, non, dit-elle ; elle n’était jamais sortie d’Angleterre. J’ajoutai qu’alors elle ne pouvait m’avoir connue en Angleterre, à moins que ce ne fût tout récemment, car j’avais demeuré pendant longtemps à Rotterdam. Ceci me tira d’affaire assez bien ; et pour le faire passer mieux, un petit garçon hollandais, qui appartenait au capitaine, vint dans la cabine, et, m’apercevant facilement qu’il était hollandais, je le plaisantai, lui parlai dans sa langue et badinai joyeusement avec lui, aussi joyeusement du moins que me le permettait la consternation dans laquelle je me trouvais encore.

Cependant, je commençais à être entièrement convaincue cette fois que la fille ne me connaissait pas, ce qui m’était une satisfaction infinie. Du moins si elle avait quelque idée à mon sujet elle ne soupçonnait nullement qui j’étais, — ce que peut-être elle eût été aussi aise de savoir que j’en eusse été surprise. — Il était, d’ailleurs, évident que, si elle avait eu aucun soupçon de la vérité, elle n’aurait pas été capable de le cacher.

Ainsi se passa cette rencontre, et vous pouvez être sûr que j’avais bien décidé, si seulement je m’en tirais, qu’elle ne me reverrait jamais pour lui renouveler la mémoire. Mais là encore je me trompais, comme vous allez l’apprendre.

Lorsque nous eûmes été assez longtemps à bord, la dame du capitaine nous conduisit à sa maison, qui était juste sur le rivage, et nous y traita de nouveau très honnêtement. Elle nous fit promettre que nous reviendrions la voir avant de partir, pour nous concerter sur le voyage et toutes les choses qui s’y rapportaient. Elle nous assura, d’ailleurs, qu’elle et sa sœur ne faisaient cette traversée cette fois que pour notre compagnie, et je pensai à part moi qu’alors elles ne le feraient pas du tout, car je voyais bien qu’il ne serait nullement prudent à Ma Seigneurie d’aller avec elles. En effet, ce fréquent commerce aurait pu me rappeler à son esprit, et elle aurait assurément