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Page:Defoe - Moll Flanders, trad. Schowb, ed. Crès, 1918.djvu/101

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MOLL FLANDERS

on interrogeait aucunement le capitaine à mon sujet, il ne se faisait point scrupule de l’affirmer quoiqu’il ne sût pas un mot de plus sur l’affaire que sa femme ne lui avait dit ; en quoi il n’entendait malice aucune, car il croyait réellement qu’il en était ainsi. Avec cette réputation de fortune, je me trouvai bientôt comblée d’assez d’admirateurs où j’avais mon choix d’hommes ; et moi, ayant à jouer un jeu subtil, il ne me restait plus rien à faire qu’à trier parmi eux tous le plus propre à mon dessein ; c’est-à-dire l’homme qui semblerait le plus disposé à s’en tenir au ouï-dire sur ma fortune et à ne pas s’enquérir trop avant des détails : sinon je ne parvenais à rien, car ma condition n’admettait nulle investigation trop stricte.

Je marquai mon homme sans grande difficulté par le jugement que je fis de sa façon de me courtiser ; je l’avais laissé s’enfoncer dans ses protestations qu’il m’aimait le mieux du monde, et que si je voulais le rendre heureux, il serait satisfait de tout ; choses qui, je le savais, étaient fondées sur la supposition que j’étais très riche, quoique je n’en eusse soufflé mot.

Ceci était mon homme, mais il fallait le sonder à fond ; c’est là qu’était mon salut, car s’il me faisait faux bond, je savais que j’étais perdue aussi sûrement qu’il était perdu s’il me prenait ; et si je n’élevais quelque scrupule sur sa fortune, il risquait d’en élever sur la mienne ; si bien que d’abord je feignis à toutes occasions de douter de sa sincérité et lui dis que peut-être il ne me courtisait que pour ma fortune, il me ferma la bouche là-dessus avec la tempête des protestations que j’ai dites mais je feignais de douter encore.