Page:Defoe - Moll Flanders, trad. Schowb, ed. Crès, 1918.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
98
MOLL FLANDERS

cruelle, mais de mère dénaturée, et me demanda comment je pouvais entretenir sans horreur la pensée de laisser mes deux enfants sans mère (car il y en avait un de mort) et de ne plus jamais les revoir. Il est vrai que si tout eût été bien, je ne l’eusse point fait, mais maintenant mon désir réel était de ne jamais plus les revoir, ni lui ; et quant à l’accusation où il me reprochait d’être dénaturée, je pouvais facilement y répondre moi-même, qui savais que toute cette liaison était dénaturée à un point extrême.

Toutefois, il n’y eut point de moyen d’amener mon mari au consentement ; il ne voulait pas partir avec moi, ni me laisser partir sans lui, et il était hors de mon pouvoir de bouger sans son autorisation, comme le sait fort bien quiconque connaît la constitution de cette contrée.

Nous eûmes beaucoup de querelles de famille là-dessus, et elles montèrent à une dangereuse hauteur ; car de même que j’étais devenue tout à fait étrangère à lui en affection, ainsi ne prenais-je point garde à mes paroles, mais parfois lui tenais un langage provocant ; en somme, je luttais de toutes mes forces pour l’amener à se séparer de moi, ce qui était par-dessus tout ce que je désirais le plus.

Il prit ma conduite fort mal, et en vérité bien pouvait-il le faire, car enfin je refusai de coucher avec lui, et creusant la brèche, en toutes occasions, à l’extrémité, il me dit un jour qu’il pensait que je fusse folle, et que si je ne changeais point mes façons, il me mettrait en traitement, c’est-à-dire dans une maison de fous. Je lui dis qu’il trouverait que j’étais assez loin d’être folle, et qu’il n’était point en son pouvoir, ni d’aucun autre scé-