Page:Defoe - Moll Flanders, trad. Schowb, ed. Crès, 1918.djvu/227

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
206
MOLL FLANDERS

sant qu’il n’était pas possible qu’elle sût rien sur moi, mon impression passa, et je commençai de me rassurer mais ce ne fut pas sur-le-champ.

Elle s’aperçut du désordre où j’étais, mais n’en comprit pas la signification ; de sorte qu’elle se lança dans d’extravagants discours sur la faiblesse que je montrais en supposant qu’on assassinait tous les enfants qui n’étaient pas nourris par leur mère, et pour me persuader que les enfants qu’elle mettait à l’écart étaient aussi bien traités que si leur mère elle-même leur eût servi de nourrice.

— Il se peut, ma mère, lui dis-je, pour autant que je sache, mais mes doutes sont bien fortement enracinés.

— Eh bien donc, dit-elle, je voudrais en entendre quelques-uns.

— Alors, dis-je, d’abord : vous donnez à ces gens une pièce d’argent pour ôter l’enfant de dessus les bras des parents et pour en prendre soin tant qu’il vivra. Or, nous savons, ma mère, dis-je, que ce sont de pauvres gens et que leur gain consiste à être quittes de leur charge le plus tôt qu’ils peuvent. Comment pourrais-je douter que, puisqu’il vaut mieux pour eux que l’enfant meure, ils n’ont pas un soin par trop minutieux de son existence ?

— Tout cela n’est que vapeurs et fantaisie, dit-elle. Je vous dis que leur crédit est fondé sur la vie de l’enfant, et qu’ils en ont aussi grand soin qu’aucune mère parmi vous toutes.

— Oh ! ma mère, dis-je, si j’étais seulement sûre que mon petit bébé sera bien soigné, et qu’on ne le maltraitera pas, je serais heureuse ! Mais il est impossible que je sois satisfaite sur ce point à moins de le voir de mes