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MOLL FLANDERS

tretien de la première nuit, ou bien lui découvrir que je n’avais point une connaissance dans toute la cité de Londres qui pût recevoir une pauvre mariée et lui donner logement pour sa nuit de noces avec son époux. Mais maintenant je ne fis point de scrupules pour rentrer droit à la maison avec lui, et là je pris possession d’un coup d’une maison bien garnie et d’un mari en très bonne condition, de sorte que j’avais la perspective d’une vie très heureuse, si je m’entendais à la conduire ; et j’avais loisir de considérer la réelle valeur de la vie que j’allais sans doute mener ; combien elle serait différente du rôle déréglé que j’avais joué auparavant, et combien on a plus de bonheur en une vie vertueuse et modeste que dans ce que nous appelons une vie de plaisir.

Oh ! si cette particulière scène d’existence avait pu durer, ou si j’avais appris, dans le temps où je pus en jouir, à en goûter la véritable douceur, et si je n’étais pas tombée dans cette pauvreté qui est le poison certain de la vertu, combien j’aurais été heureuse, non seulement alors, mais peut-être pour toujours ! Car tandis que je vivais ainsi, j’étais réellement repentante de toute ma vie passée ; je la considérais avec horreur, et je puis véritablement dire que je me haïssais moi-même pour l’avoir menée. Souvent je réfléchissais comment mon amant à Bath, frappé par la main de Dieu, s’était repenti, et m’avait abandonnée, et avait refusé de plus me voir, quoiqu’il m’aimât à l’extrême ; mais moi, aiguillonnée par ce pire des démons, la pauvreté, retournai aux viles pratiques, et fis servir l’avantage de ce qu’on appelle une jolie figure à soulager ma détresse, faisant de la beauté l’entremetteuse du vice.