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MOLL FLANDERS

dance ; et vers une heure du matin nous remontâmes dans le carrosse ; l’air et le mouvement du carrosse lui firent monter les vapeurs de la boisson à la tête ; il montra quelque agitation et voulut recommencer ce qu’il venait de faire ; mais moi, sachant bien que je jouais maintenant à coup sûr, je résistai, et je le fis tenir un peu tranquille, d’où à peine cinq minutes après il tomba profondément endormi.

Je saisis cette occasion pour le fouiller fort minutieusement ; je lui ôtai une montre en or, avec une bourse de soie pleine d’or, sa belle perruque à calotte pleine, et ses gants à frange d’argent, son épée et sa belle tabatière ; puis ouvrant doucement la portière du carrosse, je me tins prête à sauter tandis que le carrosse marcherait ; mais comme le carrosse s’arrêtait dans l’étroite rue qui est de l’autre côté de Temple-Bar pour laisser passer un autre carrosse, je sortis sans bruit, refermai la portière, et faussai compagnie à mon gentilhomme et au carrosse tout ensemble.

C’était là en vérité une aventure imprévue et où je n’avais eu aucune manière de dessein ; quoique je ne fusse pas déjà si loin de la joyeuse partie de la vie pour oublier comment il fallait se conduire quand un sot aussi aveuglé par ses appétits ne reconnaîtrait pas une vieille femme d’une jeune. Je paraissais en vérité dix ou douze ans de moins que je n’avais ; pourtant je n’étais point une jeune fille de dix-sept ans, et il était aisé de le voir. Il n’y a rien de si absurde, de si extravagant ni de si ridicule, qu’un homme qui a la tête échauffée tout ensemble par le vin et par un mauvais penchant de son désir ; il est possédé à la fois par deux démons, et ne peut pas plus se gouverner