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MOLL FLANDERS

d’être sûres de les voir ; mais rien ne peut exprimer la surprise et la stupeur où je fus jetée quand je vis le premier homme qui sortit, et que je reconnus pour être mon mari du Lancashire, le même avec qui j’avais vécu si bravement à Dunstable, et le même que j’avais vu ensuite à Brickhill, lors de mon mariage avec mon dernier mari, ainsi que j’ai dit.

Je fus comme étonnée à cette vue, muette, et ne sus ni que dire ni que faire : il ne me reconnut point, et ce fut tout le soulagement que j’eus pour l’instant ; je quittai ma société et me retirai autant qu’il est possible de se retirer en cet horrible lieu, et je pleurai ardemment pendant longtemps.

— Affreuse créature que je suis, m’écriai-je, combien de pauvres gens ai-je rendus malheureux ! combien de misérables désespérés ai-je envoyés jusque chez le diable !

Je plaçai tout à mon compte les infortunes de ce gentilhomme. Il m’avait dit à Chester qu’il était ruiné par notre alliance et que ses fortunes étaient faites désespérées à cause de moi ; car, pensant que j’eusse été une fortune, il s’était enfoncé dans la dette plus avant qu’il ne pourrait jamais payer ; qu’il s’en irait à l’armée et porterait le mousquet, ou qu’il achèterait un cheval pour faire un tour, comme il disait ; et malgré que je ne lui eusse jamais dit que j’étais une fortune et que je ne l’eusse pas proprement dupé moi-même, cependant j’avais encouragé la fausse idée qu’il s’était faite, et ainsi étais-je la cause originelle de son malheur. La surprise de cette aventure ne fit que m’enfoncer plus avant dans mes pensées et me donner de plus fortes