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Page:Defoe - Moll Flanders, trad. Schowb, ed. Crès, 1918.djvu/77

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MOLL FLANDERS

dame ; je soupçonne que vous soyez malade du mal des incurables.

Je souris et dis : « Non, vraiment, monsieur, ce n’est point du tout ma maladie. »

Nous eûmes abondance de tels discours, et parfois d’autres qui n’avaient pas plus de signification ; d’aventure il me demanda de leur chanter une chanson ; sur quoi je souris et dis que mes jours de chansons étaient passés. Enfin il me demanda si je voulais qu’il me jouât de la flûte ; sa sœur dit qu’elle croyait que ma tête ne pourrait le supporter ; je m’inclinai et dis :

— Je vous prie, madame, ne vous y opposez pas ; j’aime beaucoup la flûte.

Alors sa sœur dit : « Eh bien, joue alors, mon frère. » Sur quoi il tira de sa poche la clef de son cabinet :

— Chère sœur, dit-il, je suis bien paresseux ; je te prie d’aller jusque-là me chercher ma flûte ; elle est dans tel tiroir (nommant un endroit où il était sûr qu’elle n’était point, afin qu’elle pût mettre un peu de temps à la recherche).

Sitôt qu’elle fut partie, il me raconta toute l’histoire du discours de son frère à mon sujet, et de son inquiétude qui était la cause de l’invention qu’il avait faite de cette visite. Je l’assurai que je n’avais jamais ouvert la bouche, soit à son frère, soit à personne d’autre ; je lui dis l’horrible perplexité où j’étais ; que mon amour pour lui, et la proposition qu’il m’avait faite d’oublier cette affection et de la transporter sur un autre, m’avaient abattue ; et que j’avais mille fois souhaité de mourir plutôt que de guérir et d’avoir à lutter avec les mêmes circonstances qu’avant ; j’ajoutai que je prévoyais qu’aussitôt remise je