Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/197

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que la première fois. Il y avait alors deux ans que j’étais là, et je n’entrevoyais pas plus ma délivrance que le premier jour de mon arrivée. Je passai cette journée entière à remercier humblement le Ciel de toutes les faveurs merveilleuses dont il avait comblé ma vie solitaire, et sans lesquelles j’aurais été infiniment plus misérable. J’adressai à Dieu d’humbles et sincères actions de grâces de ce qu’il lui avait plu de me découvrir que même, dans cette solitude, je pouvais être plus heureux que je ne l’eusse été au sein de la société et de tous les plaisirs du monde ; je le bénis encore de ce qu’il remplissait les vides de mon isolement et la privation de toute compagnie humaine par sa présence et par la communication de sa grâce, assistant, réconfortant et encourageant mon âme à se reposer ici-bas sur sa providence, et à espérer jouir de sa présence éternelle dans l’autre vie.

Ce fut alors que je commençai à sentir profondément combien la vie que je menais, même avec toutes ses circonstances pénibles, était plus heureuse que la maudite et détestable vie que j’avais faite durant toute la portion écoulée de mes jours. Mes chagrins et mes joies étaient changés, mes désirs étaient autres, mes affections n’avaient plus le même penchant, et mes jouissances étaient totalement différentes de ce qu’elles étaient dans les premiers temps de mon séjour, ou de fait pendant les deux années passées.

Autrefois, lorsque je sortais, soit pour chasser, soit pour visiter la campagne, l’angoisse que mon âme ressentait de ma condition se réveillait tout à coup, et mon cœur défaillait en ma poitrine, à la seule pensée que j’étais en ces bois, ces montagnes, ces solitudes, et que j’étais un prisonnier sans rançon, enfermé dans un morne désert par l’éternelle barrière de l’Océan. Au milieu de mes plus