Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/37

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mon mépris de mes premiers remords et mon retour aux premières résolutions que j’avais prises si méchamment. Cette horreur, jointe à la terreur de la tempête, me mirent dans un tel état, que je ne puis par des mots la dépeindre. Mais le pis n’était pas encore advenu ; la tempête continua avec tant de furie, que les marins eux-mêmes confessèrent n’en avoir jamais vu de plus violente. Nous avions un bon navire, mais il était lourdement chargé et calait tellement, qu’à chaque instant les matelots s’écriaient qu’il allait couler à fond. Sous un rapport ce fut un bonheur pour moi que je ne comprisse pas ce qu’ils entendaient par ce mot avant que je m’en fusse enquis. La tourmente était si terrible que je vis, chose rare, le capitaine, le contremaître et quelques autres plus judicieux que le reste, faire leurs prières, s’attendant à tout moment que le vaisseau irait au fond. Au milieu de la nuit, pour surcroît de détresse, un des hommes qu’on avait envoyés à la visite, cria qu’une ouverture s’était produite, et un autre dit qu’il y avait quatre pieds d’eau dans la cale. Alors touts[1] les bras furent appelés à la pompe. À ce seul mot, je m’évanouis et je tombai à la renverse sur le bord de mon lit, sur lequel j’étais assis dans ma cabine. Toutefois les matelots me réveillèrent et me dirent que si jusque-là je n’avais été bon à rien, j’étais tout aussi capable de pomper qu’aucun autre. Je me levai ; j’allai à la pompe et je travaillai de tout cœur. Dans cette entrefaite, le capitaine apercevant quelques petits bâtiments charbonniers qui, ne pouvant surmonter la tempête, étaient forcés de glisser et de courir au large, et passeraient près de nous, ordonna de tirer un coup de canon en signal de détresse. Moi qui ne savais ce que cela signifiait, je fus tellement surpris, que je crus le vaisseau

  1. Note de Wikisource : Le traducteur justifie cette orthographe dans le 7e  paragraphe de la préface.