Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/390

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ges ; si bien qu’en y retournant, j’eus peine à reconnaître le lieu autrement que par le coin du bois qui saillait sur la place.

Je commençai dès lors à converser un peu avec mes deux nouveaux sujets. Je chargeai premièrement Vendredi de demander à son père ce qu’il pensait des Sauvages échappés dans le canot, et si nous devions nous attendre à les voir revenir avec des forces trop supérieures pour que nous pussions y résister ; sa première opinion fut qu’ils n’avaient pu surmonter la tempête qui avait soufflé toute la nuit de leur fuite ; qu’ils avaient dû nécessairement être submergés ou entraînés au Sud vers certains rivages, où il était aussi sûr qu’ils avaient été dévorés qu’il était sûr qu’ils avaient péri s’ils avaient fait naufrage. Mais quant à ce qu’ils feraient s’ils regagnaient sains et saufs leur rivage, il dit qu’il ne le savait pas ; mais son opinion était qu’ils avaient été si effroyablement épouvantés de la manière dont nous les avions attaqués, du bruit et du feu de nos armes, qu’ils raconteraient à leur nation que leurs compagnons avaient touts été tués par le tonnerre et les éclairs, et non par la main des hommes, et que les deux êtres qui leur étaient apparus, — c’est-à-dire Vendredi et moi, — étaient deux esprits célestes ou deux furies descendues sur terre pour les détruire, mais non des hommes armés. Il était porté à croire cela, disait-il, parce qu’il les avait entendus se crier de l’un à l’autre, dans leur langage, qu’ils ne pouvaient pas concevoir qu’un homme pût darder feu, parler tonnerre et tuer à une grande distance sans lever seulement la main. Et ce vieux Sauvage avait raison ; car depuis lors, comme je l’appris ensuite et d’autre part, les Sauvages de cette nation ne tentèrent plus de descendre dans l’île. Ils avaient été si épouvantés par les