Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/74

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troisième année nous semâmes du tabac et apprêtâmes l’un et l’autre une grande pièce de terre pour planter des cannes à sucre l’année suivante. Mais tous les deux nous avions besoin d’aide ; alors je sentis plus que jamais combien j’avais eu tort de me séparer de mon garçon Xury.

Mais hélas ! avoir fait mal, pour moi qui ne faisais jamais bien, ce n’était pas chose étonnante ; il n’y avait d’autre remède que de poursuivre. Je m’étais imposé une occupation tout-à-fait éloignée de mon esprit naturel, et entièrement contraire à la vie que j’aimais et pour laquelle j’avais abandonné la maison de mon père et méprisé tous ses bons avis ; car j’entrais précisément dans la condition moyenne, ce premier rang de la vie inférieure qu’autrefois il m’avait recommandé, et que, résolu à suivre, j’eusse pu de même trouver chez nous sans m’être fatigué à courir le monde. Souvent, je me disais : — « Ce que je fais ici, j’aurais pu le faire tout aussi bien en Angleterre, au milieu de mes amis ; il était inutile pour cela de parcourir deux mille lieues, et de venir parmi des étrangers, des sauvages, dans un désert, et à une telle distance que je ne puis recevoir de nouvelle d’aucun lieu du monde, où l’on a la moindre connaissance de moi. »

Ainsi j’avais coutume de considérer ma position avec le plus grand regret. Je n’avais personne avec qui converser, que de temps en temps mon voisin, point d’autre ouvrage à faire que par le travail de mes mains, et je me disais souvent que je vivais tout-à-fait comme un naufragé jeté sur quelque île déserte et entièrement livré à lui-même. Combien cela était juste, et combien tout homme devrait réfléchir que, tandis qu’il compare sa situation présente à d’autres qui sont pires, le Ciel pourrait l’obliger à en faire l’échange, et le convaincre, par sa propre expérience, de