Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/75

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sa félicité première ; combien il était juste, dis-je, que cette vie réellement solitaire, dans une île réellement déserte, et dont je m’étais plaint, devînt mon lot ; moi qui l’avais si souvent injustement comparée avec la vie que je menais alors, qui, si j’avais persévéré, m’eût en toute probabilité conduit à une grande prospérité et à une grande richesse.

J’avais à peu près décidé des mesures relatives à la conduite de ma plantation, avant que mon gracieux ami le capitaine du vaisseau, qui m’avait recueilli en mer, s’en retournât ; car son navire demeura environ trois mois à faire son chargement et ses préparatifs de voyage. Lorsque je lui parlai du petit capital que j’avais laissé derrière moi à Londres, il me donna cet amical et sincère conseil : — « Senhor inglez[1], me dit-il — car il m’appelait toujours ainsi, — si vous voulez me donner, pour moi, une procuration en forme, et pour la personne dépositaire de votre argent, à Londres, des lettres et des ordres d’envoyer vos fonds à Lisbonne, à telles personnes que je vous désignerai, et en telles marchandises qui sont convenables à ce pays-ci, je vous les apporterai, si Dieu veut, à mon retour ; mais comme les choses humaines sont toutes sujettes aux revers et aux désastres, veuillez ne me remettre des ordres que pour une centaine de livres sterling, que vous dites être la moitié de votre fonds, et que vous hasarderez premièrement ; si bien que si cela arrive à bon port, vous pourrez ordonner du reste pareillement ; mais si cela échoue, vous pourrez, au besoin, avoir recours à la seconde moitié. »

Ce conseil était salutaire et plein de considérations amicales ; je fus convaincu que c’était le meilleur parti à pren-

  1. L’édition originale anglaise de Stockdale porte Seignor inglese, ce qui n’est pas plus espagnol que portugais.