Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/110

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l’Espagnol avec beaucoup de calme, señor ingles, ils ne doivent pas mourir de faim. » — L’Anglais répondit, comme un mal appris qu’il était, qu’ils pouvaient crever de faim et aller au diable, mais qu’ils ne planteraient ni ne bâtiraient dans ce lieu. — « Que faut-il donc qu’ils fassent, señor ? dit l’Espagnol. » — Un autre de ces rustres répondit : — « Goddam ! qu’ils nous servent et travaillent pour nous. » — « Mais comment pouvez-vous attendre cela d’eux ? vous ne les avez pas achetés de vos deniers, vous n’avez pas le droit d’en faire vos esclaves. » — Les Anglais répondirent que l’île était à eux, que le gouverneur la leur avait donnée, et que nul autre n’y avait droit ; ils jurèrent leurs grands Dieux qu’ils iraient mettre le feu à leurs nouvelles huttes, et qu’ils ne souffriraient pas qu’ils bâtissent sur leur territoire.

— « Mais señor, dit l’Espagnol, d’après ce raisonnement, nous aussi, nous devons être vos esclaves. — « Oui, dit l’audacieux coquin, et vous le serez aussi, et nous n’en aurons pas encore fini ensemble », — entremêlant à ses paroles deux ou trois goddam placés aux endroits convenables. L’Espagnol se contenta de sourire, et ne répondit rien. Toutefois cette conversation avait échauffé la bile des Anglais, et l’un d’eux, c’était, je crois, celui qu’ils appelaient Will Atkins, se leva brusquement et dit à l’un de ses camarades : — « Viens, Jack, allons nous brosser avec eux : je te réponds que nous démolirons leurs châteaux ; ils n’établiront pas de colonies dans nos domaines. » —

Ce disant, ils sortirent ensemble, armés chacun d’un fusil, d’un pistolet et d’un sabre : marmottant entre eux quelques propos insolents sur le traitement qu’ils infligeraient aux Espagnols quand l’occasion s’en présenterait ; mais il paraît que ceux-ci n’entendirent pas parfaitement