Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/119

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et aussi peu supportables qu’auparavant ; mais sur ces entrefaites un incident survint qui mit en péril la vie de tout le monde, et qui les força de déposer tout ressentiment particulier, pour ne songer qu’à la conservation de leur vie.

Il arriva une nuit que le gouverneur espagnol, comme je l’appelle, c’est-à-dire l’Espagnol à qui j’avais sauvé la vie, et qui était maintenant le capitaine, le chef ou le gouverneur de la colonie, se trouva tourmenté d’insomnie et dans l’impossibilité de fermer l’œil : il se portait parfaitement bien de corps, comme il me le dit par la suite en me contant cette histoire ; seulement ses pensées se succédaient tumultueusement, son esprit n’était plein que d’hommes combattant et se tuant les uns les autres ; cependant il était tout-à-fait éveillé et ne pouvait avoir un moment de sommeil. Il resta long-temps couché dans cet état ; mais, se sentant de plus en plus agité, il résolut de se lever. Comme ils étaient en grand nombre, ils ne couchaient pas dans des hamacs comme moi, qui étais seul, mais sur des peaux de chèvres étendues sur des espèces de lits et de paillasses qu’ils s’étaient faits ; en sorte que quand ils voulaient se lever ils n’avaient qu’à se mettre sur leurs jambes, à passer un habit et à chausser leurs souliers, et ils étaient prêts à aller où bon leur semblait.

S’étant donc ainsi levé, il jeta un coup d’œil dehors ; mais il faisait nuit et il ne put rien ou presque rien voir ; d’ailleurs les arbres que j’avais plantés, comme je l’ai dit dans mon premier récit, ayant poussé à une grande hauteur, interceptaient sa vue ; en sorte que tout ce qu’il pût voir en levant les yeux, fut un ciel clair et étoilé. N’entendant aucun bruit, il revint sur ses pas et se recoucha ; mais ce fut inutilement : il ne put dormir ni goûter un instant de re-