Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/154

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toutes choses croissaient et se bonifiaient chez eux, et l’abondance y régnait au-dedans et au-dehors : ils avaient plus de bétail que les autres, et dans leur intérieur plus d’ustensiles, plus de bien-être, plus aussi de plaisir et d’agrément.

Il est vrai que les femmes des trois étaient entendues et soigneuses ; elles avaient appris à préparer et à accommoder les mets de l’un des deux autres Anglais, qui, ainsi que je l’ai dit, avait été aide de cuisine à bord du navire, et elles apprêtaient fort bien les repas de leurs maris. Les autres, au contraire, n’y entendirent jamais rien ; mais celui qui, comme je disais, avait été aide de cuisine, faisait lui-même le service. Quant aux maris des trois femmes, ils parcouraient les alentours, allaient chercher des œufs de tortues, pêcher du poisson et attraper des oiseaux ; en un mot ils faisaient tout autre chose que de travailler : aussi leur ordinaire s’en ressentait-il. Le diligent vivait bien et confortablement ; le paresseux vivait d’une manière dure et misérable ; et je pense que généralement parlant, il en est de même en touts lieux.

Mais maintenant nous allons passer à une scène différente de tout ce qui était arrivé jusqu’alors soit à eux, soit à moi. Voici quelle en fut l’origine.

Un matin de bonne heure abordèrent au rivage cinq ou six canots d’Indiens ou Sauvages, appelez-les comme il vous plaira ; et nul doute qu’ils ne vinssent, comme d’habitude, pour manger leurs prisonniers ; mais cela était devenu si familier aux Espagnols, à touts nos gens, qu’ils ne s’en tourmentaient plus comme je le faisais. L’expérience leur ayant appris que leur seule affaire était de se tenir cachés, et que s’ils n’étaient point vus des Sauvages, ceux-ci, l’affaire une fois terminée, se retireraient paisiblement, ne se doutant pas plus alors qu’ils ne l’avaient fait précédemment qu’il y eût des habitants dans l’île ; sachant cela, dis-je, ils