Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/198

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leur joie les avait poussés à de messéantes extravagances qu’il ne leur était loisible de décrire qu’en me disant qu’ils s’étaient vus sur le point de tomber en frénésie, ne pouvant donner un libre cours aux émotions qui les agitaient ; bref, que ce saisissement avait agi sur celui-ci de telle manière, sur celui-là de telles autres ; que les uns avaient débondé en larmes, que les autres avaient été à moitié fous, et que quelques-uns s’étaient immédiatement évanouis. — Cette peinture me toucha extrêmement, et me rappela l’extase de Vendredi quand il retrouva son père, les transports des pauvres Français quand je les recueillis en mer, après l’incendie de leur navire, la joie du capitaine quand il se vit délivré dans le lieu même où il s’attendait à périr, et ma propre joie quand, après vingt-huit ans de captivité, je vis un bon vaisseau prêt à me conduire dans ma patrie. Touts ces souvenirs me rendirent plus sensible au récit de ces pauvres gens et firent que je m’en affectai d’autant plus.

Ayant ainsi donné un apperçu de l’état des choses telles que je les trouvai, il convient que je relate ce que je fis d’important pour nos colons, et dans quelle situation je les laissai. Leur opinion et la mienne étaient qu’ils ne seraient plus inquiétés par les Sauvages, ou que, s’ils venaient à l’être, ils étaient en état de les repousser, fussent-ils deux fois plus nombreux qu’auparavant : de sorte qu’ils étaient fort tranquilles sur ce point. — En ce temps-là, avec l’Espagnol que j’ai surnommé gouverneur j’eus un sérieux entretien sur leur séjour dans l’île ; car, n’étant pas venu pour emmener aucun d’entre eux, il n’eût pas été juste d’en emmener quelques-uns et de laisser les autres, qui peut-être ne seraient pas restés volontiers, si leurs forces eussent été diminuées.

En conséquence, je leur déclarai que j’étais venu pour les établir en ce lieu et non pour les en déloger ; puis je leur