Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/225

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requête » — « Qu’est-ce ? lui dis-je. » — « C’est, répondit-il, de laisser avec moi votre serviteur Vendredi, pour me servir d’interprète et me seconder auprès de ces Sauvages ; car sans trucheman je ne saurais en être entendu ni les entendre. »

Je fus profondément ému à cette demande, car je ne pouvais songer à me séparer de Vendredi, et pour maintes raisons. Il avait été le compagnon de mes travaux ; non-seulement il m’était fidèle, mais son dévouement était sans bornes, et j’avais résolu de faire quelque chose de considérable pour lui s’il me survivait, comme c’était probable. D’ailleurs je pensais qu’ayant fait de Vendredi un Protestant, ce serait vouloir l’embrouiller entièrement que de l’inciter à embrasser une autre communion. Il n’eût jamais voulu croire, tant que ses yeux seraient restés ouverts, que son vieux maître fût un hérétique et serait damné. Cela ne pouvait donc avoir pour résultat que de ruiner les principes de ce pauvre garçon et de le rejeter dans son idolâtrie première.

Toutefois, dans cette angoisse, je fus soudainement soulagé par la pensée que voici : je déclarai à mon jeune prêtre qu’en honneur je ne pouvais pas dire que je fusse prêt à me séparer de Vendredi pour quelque motif que ce pût être, quoiqu’une œuvre qu’il estimait plus que sa propre vie dût sembler à mes yeux de beaucoup plus de prix que la possession ou le départ d’un serviteur ; que d’ailleurs j’étais persuadé que Vendredi ne consentirait jamais en aucune façon à se séparer de moi, et que l’y contraindre violemment serait une injustice manifeste, parce que je lui avais promis que je ne le renverrais jamais, et qu’il m’avait promis et juré de ne jamais m’abandonner, à moins que je ne le chassasse.