Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/226

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Là-dessus notre abbé parut fort en peine, car tout accès à l’esprit de ces pauvres gens lui était fermé, puisqu’il ne comprenait pas un seul mot de leur langue, ni eux un seul mot de la sienne. Pour trancher la difficulté, je lui dis que le père de Vendredi avait appris l’espagnol, et que lui-même, le connaissant, il pourrait lui servir d’interprète. Ceci lui remit du baume dans le cœur, et rien n’eût pu le dissuader de rester pour tenter la conversion des Sauvages. Mais la Providence donna à toutes ces choses un tour différent et fort heureux.

Je reviens maintenant à la première partie de ses reproches. — Quand nous fûmes arrivés chez les Anglais, je les mandai touts ensemble, et, après leur avoir rappelé ce que j’avais fait pour eux, c’est-à-dire de quels objets nécessaires je les avais pourvus et de quelle manière ces objets avaient été distribués, ce dont ils étaient pénétrés et reconnaissants, je commençai à leur parler de la vie scandaleuse qu’ils menaient, et je leur répétai toutes les remarques que le prêtre avait déjà faites à cet égard. Puis, leur démontrant combien cette vie était anti-chrétienne et impie, je leur demandai s’ils étaient mariés ou célibataires. Ils m’exposèrent aussitôt leur état, et me déclarèrent que deux d’entre eux étaient veufs et les trois autres simplement garçons. — « Comment, poursuivis-je, avez-vous pu en bonne conscience prendre ces femmes, cohabiter avec elles comme vous l’avez fait, les appeler vos épouses, en avoir un si grand nombre d’enfants, sans être légitimement mariés ? »

Ils me firent touts la réponse à laquelle je m’attendais, qu’il n’y avait eu personne pour les marier ; qu’ils s’étaient engagés devant le gouverneur à les prendre pour épouses et à les garder et à les reconnaître comme telles, et qu’ils pensaient, eu égard à l’état des choses, qu’ils étaient aussi